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IMAGO de Déni Oumar Pitsaev

  • Mathis Gautherin
  • 20 oct.
  • 3 min de lecture

@New Story
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LE MOT : MÉTAMORPHOSE

Imago, le nouveau documentaire de Déni Oumar Pitsaev, nous convie à un voyage intime et bouleversant au cœur de la vallée du Pankissi, en Géorgie au nord-est de la capitale Tbilissi, frontalière avec la Tchétchénie. Plus qu'un simple carnet de bord, ce documentaire est une quête poignante d'identité, de racines et de reconstruction, où l'utopie d'un foyer devient le catalyseur d'une possible réconciliation familiale et personnelle.


Le point de départ est à la fois simple et chargé de sens : une parcelle de terre offerte par sa mère, dans ce qu'il considère comme une sorte de Tchétchénie délocalisée, écho de sa terre natale, mais où s'épanouit une liberté autrement contrainte, devient le prétexte à un retour aux sources pour Pitsaev, qui ne peut plus se rendre dans son pays d’origine. C'est aussi le lieu de retrouvailles complexes et longtemps différées, notamment avec son père avec qui il n'avait partagé que de très rares moments dans sa vie et qu'il a revu après huit ans d'absence. La proposition de ce dernier de venir l'aider à construire une maison sur cette terre transforme le projet architectural en une puissante métaphore : celle d'un point de ralliement, un espoir de pouvoir, peut-être, recréer artificiellement des liens familiaux.


Pitsaev filme avec une honnêteté désarmante. On est particulièrement touché par la figure du père, qui, face à la caméra, se comporte avec une étonnante et touchante normalité, fier de son fils cinéaste. Cette dynamique père-fils, à la fois tendre et teintée d'une histoire d'abandon, forme l'une des colonnes vertébrales émotionnelles du film.

Visuellement, Imago s'attache à déjouer les clichés. Conscient que la vallée du Pankissi est souvent réduite à sa réputation de vivier de djihadistes, Pitsaev choisit de montrer la complicité qui se tisse avec les habitants au fil de ses rencontres. Loin du misérabilisme, il offre une vision lumineuse, presque estivale de la vallée, cherchant à créer un sentiment de familiarité qui pourrait évoquer des paysages européens méridionaux, afin de favoriser une identification du spectateur.


Le film aborde avec finesse les thèmes de l'exil et du traumatisme. Ayant lui-même exprimé un sentiment de déracinement, une perte de repères fixes – à cause de la guerre en Tchétchénie dont il a été témoin et victime – la construction de cette maison devient pour Pitsaev un acte de résistance contre l'effacement. Sa décision de bâtir sur pilotis, une conception qu'il qualifie lui-même d'un peu atypique et provocatrice pour le contexte local, plutôt qu'avec une cave traditionnelle – symbole de la peur d'un retour de la guerre – est une déclaration puissante. Il explique son refus de penser à une cave par son désir de se détacher de la peur et d'embrasser le rêve. C'est le refus d'être défini par les stigmates du passé, une aspiration à la légèreté et à l'avenir.


Le titre même, Imago, évoque cette transformation, cette image idéalisée de soi et de la famille que le réalisateur cherche à atteindre. En biologie, l'imago désigne le stade adulte final d'un insecte après sa métamorphose – la chenille devenue papillon, par exemple. Cette notion de transformation, d'aboutissement après un processus de changement, est au cœur du film. Déni Oumar Pitsaev ne cherche pas seulement à construire une maison physique ; il aspire à une métamorphose personnelle, à se « construire » lui-même en tant qu'homme, peut-être ce « tchétchène traditionnel » que sa mère espère, mais surtout en tant qu'individu apaisé avec son histoire.


Plus encore, en psychanalyse, notamment chez Carlos Gustav Jung, l'imago se réfère à une image inconsciente, souvent idéalisée, d'une personne importante de l'enfance – typiquement un parent – qui influence durablement la perception et les relations de l'individu. Cette acception résonne avec la quête de Pitsaev puisque le film est traversé par ces figures parentales : la mère initiatrice du projet, et le père, figure fantasmée puis retrouvée, avec qui il tente de rebâtir un lien. La « maison-phare » qu'il imagine n'est-elle pas une tentative de concrétiser une « imago » familiale, une image idéalisée de la famille réunie et harmonieuse qu'il n'a jamais connue ?


En se terminant de manière ouverte, le réalisateur invite le spectateur à prolonger la réflexion, à transposer cette expérience – ce parcours initiatique – à sa propre existence.

Imago est donc une œuvre courageuse et sincère. Déni Oumar Pitsaev réussit le pari de transformer une histoire personnelle, celle de sa famille tchétchène éclatée par la guerre et l'exil, en une méditation universelle sur la quête de sens, la résilience et la possibilité de se réinventer, même lorsque les fondations de notre existence semblent avoir disparu. Un documentaire qui touche par sa délicatesse et sa profonde humanité.


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