top of page

L'ÉTRANGER de François Ozon

  • Mathis Gautherin
  • il y a 3 jours
  • 3 min de lecture

LE MOT : ÉVANESCENT

ree

François Ozon pour son nouveau film, s’attaque à un monument de la littérature française avec son adaptation de L'Étranger de Camus - écrit en 1939 et paru en 1942 -  transportant le spectateur dans l’Alger de 1938.Benjamin Voisin y incarne un Meursault des plus fidèles à l'original : un employé modeste, trentenaire, qui, après avoir enterré sa mère sans une larme, entame une liaison avec sa collègue Marie - interprété par Rebecca Marder - avant de se laisser entraîner dans les affaires louches de son voisin Raymond Sintès - interprété par Pierre Lottin - jusqu'au drame inévitable sur une plage écrasée de soleil. Si le film est visuellement réussi, il laisse le spectateur partagé, comme si le réalisateur était tiraillé entre deux intentions, deux fidélités qui peinent à se rencontrer, à fusionner.


D'un côté, Ozon cherche visiblement à honorer Camus, à capturer cette essence de l'absurde et du détachement. Cette fidélité se manifeste par la reprise quasi mot pour mot de dialogues tirés du roman. Une démarche qui - si elle contente les puristes de Camus - confère à la langue une certaine rigidité, un caractère trop littéraire qui peine parfois à s'incarner pleinement à l'écran. Le texte, bien que magnifique, se fait alors entrave à la vie, figé dans une forme trop parfaite.


De l'autre, le réalisateur semble vouloir combler un vide du roman original : la question coloniale et la place des personnes arabes, quasiment invisibles dans l'œuvre de Camus.Le début du film, avec ce faux film compilé d’archives de l’époque, qui dépeint une Algérie carte postale ensoleillée et exotique pour le regard du colon français, est - il faut bien se le dire - une  franche réussite. Ozon s'efforce de faire tomber ce vernis pour révéler la réalité d'un pays sous domination, où les "autres" (pour reprendre le terme camusien dans L’Étranger) n'existent qu'à travers le cadre imposé par l'occupant. Cependant, cette louable intention demeure un peu trop en surface, puisqu’elle semble s’apparenter davantage à une belle image qu'à un véritable geste politique : le récit reste ancré dans le regard du colon, dans la position du Français qui observe, mais ne ressent rien.


Et c'est précisément là que réside le cœur du problème. Chez Camus, le détachement de Meursault est une posture philosophique, une lucidité radicale face à l'absurdité du monde, non une cruauté ou un mépris. Il refuse de feindre des émotions qu'il ne ressent pas, même face à la mort de sa mère. Mais à l'écran, replacé dans le contexte brûlant de l'Algérie coloniale, cette indifférence prend une tout autre dimension. Elle cesse d'être purement philosophique pour devenir une forme de complicité. Benjamin Voisin, malgré une interprétation brillante, incarne un Meursault produit d'un système qui l'a rendu incapable de percevoir les vies qu'il écrase. C'est le colon face à un monde qu'il domine sans le voir. Et le film, sans le vouloir, reproduit en partie cette cécité.


La présence du morceau de The Cure, « Killing an Arab », sur le générique de fin, est particulièrement troublante. Elle sonne comme un clin d'œil ironique, une tentative du réalisateur de dire « je sais, je comprends », mais elle tombe à plat. Plutôt que d'affronter le sujet de front, elle donne l'impression d'une pirouette pour l'esquiver.


Au final, L'Étranger version Ozon se révèle être un film d'une grande beauté formelle, d'une maîtrise indéniable, mais qui pèche par une trop grande sagesse. Il dépeint un monde injuste sans jamais réellement bousculer le nôtre. Et aujourd'hui, réaliser un film sur l'Algérie coloniale sans déplacer le regard, sans donner la parole à ceux qui en ont été privés, constitue un véritable manque de courage. Le film, malgré ses qualités esthétiques, laisse un arrière-goût d'inachevé, comme une œuvre qui aurait pu être plus forte, plus audacieuse, si elle avait osé sortir de l'indifférence qu'elle dépeint.


Commentaires


bottom of page