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VALEUR SENTIMENTALE de Joachim Trier

  • Photo du rédacteur: Raphaël Chadha
    Raphaël Chadha
  • 24 août
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 oct.

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LE MOT : ANCRÉ

Flaubert fût l’un des premiers à introduire le mot “sentimental” en France, dérivant de l’anglais tout en gardant la même signification. L’auteur choisissait d’y associer le mot “éducation”, le réalisateur danois “valeur”. Dans le livre comme dans le film, le sujet se ressemble : un protagoniste en quête de reconnaissance amoureuse. La seule différence se fait dans cette “reconnaissance”. Pour Gustave Flaubert, elle doit venir de l’amour passionnel. Pour Joachim Trier, celle-ci est familiale, provenant davantage de la famille, l’amour qu’aurait souhaité avoir une fille, de la part de son père. 

La comparaison littéraire n’est pas si éloignée du propos de Valeur Sentimentale. En effet, un père donc (incarné par Stellan Skarsgard), revient dans la maison familiale au moment des funérailles de son ex-femme. Seulement, il ne fait pas son retour les mains vides mais avec un scénario. Qu’il tend notamment à l’une de ses deux filles : Nora (incarné par Renate Reinsve) pour qu’elle incarne le personnage principal. Alors, entre échanges filiaux tumultueux et crises existentielles, nous sommes embarqués dans les destructions passées et les constructions futures. 


Le cinéma s’amorce en étant littéraire, porté par l’écriture d’un scénario. C’est en le voyant tout au long du métrage que l’on comprend que les mots ne sont pas que questions d’orthographe, de style mais plutôt de ressentis et de sentiments. Aussi, cette même Nora, est actrice de théâtre, où le public la conforte tout au long de sa performance, étant face à elle. Le cinéma est tout autre, le public n’existe pas, l’actrice est face à elle-même. 

Nous avons donc un tout, un film total comme l'aurait appelé Richard Wagner : théâtre, littérature, cinéma. Joachim Trier étend les possibilités que le 7ème art peut offrir. Prenons un exemple, dans la dernière partie du film, Nora lit enfin le script de son père, et se reconnaît dans celui-ci. Notre protagoniste est déconcertée par la compréhension de son auteur, bien qu'absent toutes ces années. En ouvrant le scénario, elle vit le regard omniscient de son père, l’écrit comme le cinéma devenant présence et plus que tout, proximité. 

Écrire, c’est aussi arrêter le temps, ce qui n’est pas montré dans Valeur Sentimentale, est le rôle du scénariste/metteur en scène à former une figure, construire un personnage, le cerner. Voilà les raisons qui expliquent la surprise de Nora. 

On peut aussi questionner la profession de réalisateur : est-ce un simple artiste, où une personne qui comble le silence ?

J’appellerais le procédé qu’utilise Trier : la perspective artistique, le fait qu’en montrant un art dans un art, en ressort une profondeur des émotions, du récit et des personnages. 


Cela nous change de tous ces films récents, ces documentaires-fictionnés qui se servent du réel comme accès au spectateur, mais qui ne vivent pas. On pense notamment à Diamant Brut, Vingt-Dieux ou encore Ma vie, ma gueule. Ils nous enferment dans notre temporalité. Ils nous accusent, pensent adopter un point de vue original mais cela ne tient que dans le fait d’emprunter une caméra pour le faire. 

Effectivement, le réalisateur de Oslo, 31 août, s’écarte de ce type de métrage décrit plus haut, en faisant de ce père, un réalisateur légitime. Légitimité acquise par une scène où l’on projette l’un de ses anciens films, qui émeut l’entièreté de la salle. Mais aussi, lorsque le personnage offre quatre DVD à l’enfant d’Agnès (la sœur de Nora et incarné par Inga Ibsdotter Lilleaas) dont deux qui sont visibles pour le spectateur : La leçon de piano de Michael Haneke et Irréversible de Gaspar Noé. Deux films qui sont connus pour leur brutalisme et leur révolution cinématographique. Il y a donc une équation intéressante, celle qu’un film marqué dans le temps, est intemporel dans le fait de le transmettre aux générations futures mais aussi dans le fait qu’il nous aide à grandir. 


Trier comprend, donc, enfin (contrairement à son précédent film : Julie en 12 chapitres) que le cinéma tient aussi dans l’impossible, la redécouverte d’un modèle qui ne serait fait que d’images et d’histoires. 


Abordons un dernier point, cette maison familiale, évoquée plus tôt. Elle sert de fondation, les deux sœurs ont vécu la majorité de leur vie dans ce lieu, le père les a abandonnées en quittant celui-ci et le futur tournage du scénario se passera dedans. Un parallèle est à faire entre l’habitation et le 7ème art, celui que ces deux choses restent pendant que les personnes défilent. Nous sommes constitués de souvenirs et nous évoluons, changeons grâce à eux, mais une chose est sûre : l’art persiste tout autant que la pierre. 


Le film se termine  sur une scène sans paroles, alors si j’avais pu y ajouter une ligne de dialogue, j’y mettrais cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry, tirée de Vol de Nuit :

“Victoire…Défaite… Ces mots n’ont point de sens. La vie est au-dessous de ces images, et déjà prépare de nouvelles images.” 



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