PREMIÈRES CLASSES de Kateryna Gornostai
- Adrien Fondecave
- 24 sept.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 oct.

LE MOT : GRANDIR
Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, en février 2022, les documentaires ukrainiens se sont multipliés. Beaucoup sont de grande qualité, par conséquent il devient difficile de se différencier et d'apporter un regard neuf à ce conflit très documenté. Kateryna Gornostai apporte sa pierre à l'édifice avec Premières classes (Timestamp à l'international, Стрічка часу en ukrainien), long métrage dans lequel elle observe la jeunesse ukrainienne, de la maternelle au lycée. Elle a filmé en 2023 et 2024 un certain nombre de localités ukrainiennes qui ont été particulièrement affectées par la guerre, des zones souvent près de la frontière russe ou proches du front. On voit ces enfants et adolescents suivre des cours, certains classiques (anglais, histoire, sport...) quand d'autres sont directement liés à la guerre (tir sportif, pilotage de drones, montage et démontage d'armes à feu...). Les plus petits ne sont pas épargnés : une leçon essentielle leur apprend à différencier des jouets ou objets inoffensifs, de jouets ou objets minés ou piégés avec une bombe, les russes n'hésitant pas à cibler les enfants. C'est un moment à la fois ludique, les enfants apprenant par le biais de comptines... et terrible : même un doudou peut tuer, une fois passé dans les mains criminelles des russes.
La cinéaste montre ainsi que les enfants et les adolescents sont contraints de vivre avec la guerre. Même si les adultes essaient de les protéger, ils en sont aussi les victimes, si pas directement (un grand nombre d’enfants ont été tués par des bombardements et autres exactions russes), par leurs proches, dont certains sont morts ou blessés, et par cette atmosphère d’angoisse et de stress omniprésente. Ce qui ne les empêche pas non plus d’être parfois joyeux et de vivre une vie qui ressemble à celles de jeunes occidentaux par bien des aspects. Toutefois la guerre se rappelle régulièrement à eux. Et en grandissant, se pose la question de servir son pays, par différents moyens, dont bien sûr l’armée. A un moment, un adulte indique à une classe d’ados qu’ils doivent s’engager d'une façon ou d'une autre pour offrir à leurs futurs enfants un pays libre. Ils ne sont même pas encore majeurs, qu’ils doivent porter le poids d’un pays à défendre contre l’envahisseur…
L'esthétique du film est soignée, qu'il s'agisse des cadrages, de la belle photographie ou du son. Kateryna Gornostai opte pour la sobriété et une certaine neutralité du propos et de la caméra, dans le sillage d'un Frederick Wiseman. Elle ne cherche pas à sur-esthétiser les images, ce qui permet d'éviter un ton trop appuyé. Les choix musicaux peuvent surprendre. La musique originale d’Alexey Shmurak, dissonante et abstraite, renforce le sentiment de distanciation que l'on peut éprouver avec ce long métrage. En filmant une multitude de classes, d'élèves et d'enseignants, finalement Kateryna Gornostai ne prend pas le temps d'approfondir complètement la vie et le ressenti des Ukrainiens. La cinéaste refuse tout pathos, ce qui est louable en un sens. Le revers est que le film peut paraître un peu froid. Quelques séquences, toutefois, viennent nous toucher en plein cœur. Et c'est quand la réalisatrice se laisse enfin aller à un peu de lyrisme, lors de la cérémonie de fin d'année des lycéens, qu'on chavire complètement. Dommage que la musique étrange et glacée reprenne ses droits à la fin. La boucle est bouclée, le dispositif mis en place par Kateryna Gornostai se referme. On se dit alors qu'il aurait peut-être fallu filmer tout cela avec un peu plus de vie et d'imperfection.
Malgré ces quelques réserves, Premières classes est un documentaire qui vaut le visionnage. La cinéaste ukrainienne est à la hauteur de son sujet et rend un bel hommage à ses compatriotes. Nous passons deux heures aux côtés de ce peuple de héros (à tout âge), tenaces et courageux, dont nous partageons le quotidien chamboulé par les combats, les peines et les espoirs. Un peuple héroïque dont les jeunes portent sur leurs épaules une lourde tâche : vivre, grandir, résister, gagner la guerre... et construire l'Ukraine de demain.




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