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HONEYMOON de Zhanna Ozirna

  • Adrien Fondecave
  • 8 oct.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 nov.

Olya et Taras, un jeune couple d'Ukrainiens, sont enfermés dans leur appartement en chantier, alors que les russes ont envahi leur ville
Ira Nirsha et Roman Lutskyi © Destiny Films

LE MOT : SURVIVRE

Honeymoon est l'un des tous premiers longs métrages de fiction ukrainiens, tournés depuis le début de l'invasion russe de février 2022, à parvenir jusqu'à nous, car jusqu'à présent, nous avons surtout pu voir des documentaires. A ce titre, Honeymoon est déjà un film intéressant. D'autant qu'il est toujours difficile pour les artistes de représenter la guerre, la violence ou l'horreur réellement vécue par les êtres humains. Ce type de débat revient régulièrement, et a notamment été longuement discuté à propos de la Shoah. Grossièrement, deux camps s'opposent : ceux pour qui la fiction reviendrait à minimiser, déformer la réalité ou trahir les victimes, la seule option possible étant alors d'opter pour le documentaire ; de l'autre côté, ceux pour qui la fiction peut tout traiter, dès lors que le film fait preuve de subtilité et de respect, dans un souci d'éthique et de recherche de la vérité. On le voit, choisir la fiction est une lourde décision, susceptible d'ouvrir le champ à des critiques parfois violentes, pouvant même venir de son propre camp, ce qui peut être particulièrement douloureux pour un ou une artiste qui cherche à honorer les siens. La réalisatrice ukrainienne Zhanna Ozirna est donc courageuse.

 

Elle démontre avec Honeymoon qu'elle a le talent nécessaire et la finesse requise pour aborder le sujet dramatique et contemporain de la guerre en Ukraine à travers la fiction. Honeymoon est en effet un long métrage subtil et intelligent, qui nous replace dans ce qu'ont vécu les Ukrainiens les premiers jours de l'invasion : la stupéfaction, la peur, la paralysie, la remise en question de leur quotidien... Et plus prosaïquement, la survie : certains étant tués ou torturés par les russes, blessés, prisonniers, confinés... Zhanna Ozirna construit son film autour d'un couple surpris par l'invasion et cloîtré dans son appartement en cours d'aménagement. C'est un choix intéressant, car la cinéaste évoque la guerre d'un point de vue humain et ukrainien. On rentre dans l'intimité du couple, avec beaucoup de tendresse et de pudeur, et on éprouve avec eux combien la guerre est inhumaine et terrifiante. 

 

Zhanna Ozirna choisit une esthétique sobre et minimaliste, resserrée sur ce couple. La photographie est très soignée et réussie : le film a beau avoir été tourné en studio – étant donné qu'il était difficile de trouver un appartement adéquat pour le tournage, et les bombardements russes étant incessants – on a l'impression que la lumière est naturelle. Les couleurs sont plutôt éteintes et la luminosité est basse, ce qui renforce le réalisme des images, mais reste aussi dans le ton de l'intrigue et des sentiments des personnages : la situation est dramatique et anxiogène, la vie en Ukraine est rude depuis 2014 et plus encore depuis février 2022.

 

Pourtant, Zhanna Ozirna n'est pas dans le pur premier degré, elle use d'ironie et de distanciation pour ne pas sombrer dans le désespoir. Rien que le titre, « Honeymoon », ou lune de miel, prête à rire (jaune) quand on sait la teneur de ce que vit ce couple : enfermé chez eux, tentant de ne pas se faire remarquer, quand leurs voisins se font molester par les russes... De temps à autre, la cinéaste a recours à l'humour pour faire retomber temporairement la tension, de façon bienvenue. Il faut dire qu'il vaut mieux ne pas être claustrophobe pour nos deux héros... ni pour le spectateur. Tout le film se passe entre les murs de l'appartement. Et pour accentuer le sentiment d'enfermement, Zhanna Ozirna use de surcadrages : des fenêtres fermées, des cadres de portes, des bandelettes de tests de couleurs collées sur le mur et qui rappellent des barreaux de prison...

 

Taras et Olya vont devoir puiser en eux les ressources morales et le cran pour tenir bon. Taras est psychothérapeute et Olya est sculptrice. Ils incarnent un couple moderne et progressiste, reflet de cette Ukraine contemporaine qui tend bien davantage du côté de l'Occident que de la Russie. A eux deux, nos héros ne sauraient représenter tous les Ukrainiens, mais par leur mode de vie et leur façon de penser, ils démontrent qu'ils sont tout à fait semblables à nous autres Français. Les conditions particulièrement éprouvantes qu'ils vivent malmènent leur couple. Ils en viennent parfois à se dire leurs quatre vérités. Mais c'est peut-être un moyen de rester honnêtes avec eux-mêmes et l'un envers l'autre. Les moments de détresse sont aussi des moments de révélation. Comme la guerre en Ukraine, démarrée en 2014, puis l'invasion russe de 2022, l'ont montré : les Ukrainiens se sont révélés à eux-mêmes et au monde entier comme un peuple héroïque, à la bravoure immense. Il en va de même pour Taras et Olya, à leur mesure. Ils tiennent le coup, se soutiennent mutuellement. Et lorsqu'il s'agit d'agir, ils le font résolument, même s'ils savent très bien que leur vie est en jeu.

 

Honeymoon est le premier long métrage de fiction de Zhanna Ozirna, il n'est donc bien sûr pas parfait. Le milieu du long métrage nous perd un peu, mais en même temps il est réaliste : une fois enfermés chez eux, le temps passe lentement pour les personnages principaux, chaque minute étant un supplice et mettant leurs nerfs et les nôtres à rude épreuve... La cinéaste ukrainienne fait preuve d'une indéniable maîtrise formelle, visuellement, dans l'écriture du scénario et des dialogues, et dans la direction des acteurs. Ce qui fait d'Honeymoon un long métrage accompli et cohérent, qui sert son sujet. Il faut aller voir ce film, qui nous permet de mieux comprendre (à notre mesure) ce que vivent les Ukrainiens, et soutenir la talentueuse et courageuse équipe de ce long métrage. 

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